First Aid Kit

(Ceci est un post musical, prévoyez vos écouteurs ou attendez que la pièce ce soit vidée de gens qui n’ont pas de goût.)

Quand j’entend First Aid Kit, j’ai toujours la distincte impression d’avoir surpris les chants de deux fées échappées des bois. Johanna et Klara Söderberg ont cette capacité rare de faire une musique si pure et naturelle qu’elle ressemble plus à une respiration qu’à une performance. Elles ont aussi le charme de ressembler à un idéal suédois hippie, logé à mon insu dans un recoin de mon cerveau. L’ainée est blonde, la cadette est brune, elles n’ont pas 25 ans ; les cheveux au vent, parfois ornés de fleur, elles gambadent à travers leurs clips les yeux pétillants mais le front grave.

Elles étaient littéralement assises dans une forêt dans la première vidéo que j’ai vu d’elles.

Cette reprise des Fleet Foxes1 n’a pas simplement retenu mon attention, elle les a fait connaître en dehors de leur Suède natale, notamment grâce à Robin Pecknold (chanteur des Fleet Foxes) qui s’est empressé de partager sa découverte avec le reste d’internet. Elles avaient 15 et 18 ans…. Je sais, moi aussi je déteste les overachievers, mais quand ils chantent comme ça, on leur pardonne presque. Leur interprétation est si simple, et pourtant puissante, qu’elles ne peuvent pas être entièrement mortelles. On aurait presque peur de briser le charme en les découvrant en chair et en os. Il y a une dizaine de jours à l’Astra dans Friedrichshain2, j’ai pris le risque de tester cette théorie.

Et bien Spolier Alert, elles sont aussi virtuoses et lumineuses en vrai que dans mes écouteurs. Ce qui crée un étrange décalage quand elles s’adressent à la foule comme à des camarades de classe. Johanna, libérée de toute obligation de coolitude, n’hésite pas, entre deux chansons bouleversantes, à nous faire partager son amour des blagues un peu nulles :

What do you call cheese that isn’t yours? Nacho Cheese!

Et Klara de clôturer :

What did Sushi A say to Sushi B ? Wasabi !

J’adore. Je ris (trop fort pour ma voisine qui me lance un regard un peu offusqué) mais je suis désarçonnée. Je réalise doucement qu’en catégorisant First Aid Kit de jolies fées, je les ai limitées à une très étroite expression de leur identité. En trois dimensions, elles sont plus libres, plus espiègles, mais aussi finalement plus touchantes.

D’autant que leurs textes se baladent volontiers du côté de l’existentiel et s’intéressent plus aux amours déçus qu’aux bluettes adolescentes. Elles ne manquent d’ailleurs pas de lucidité sur le sujet :

This next one is a sad song All our songs are sad Yes, but this is a particularly sad one.

Pire que tout, plus le concert avance, plus je dois me rendre à l’évidence : cela fait trois ans que je suis en pâmoison devant leurs jolies voix, mais je n’ai jamais vraiment écouté leurs chansons. Une fois de plus, avoir 3 albums d’un artiste dans sa bibliothèque Itunes ne vaccine pas contre l’ignorance crasse. En me renseignant (depuis) j’ai découvert que leur mélange de douceur et d’amertume n’était pas le gage d’une nouvelle maturité. Leur premier succès suédois, Tangerine (en parlant de doux-amer), était un joli opus sur l’adultère, d’une lucidité confondante pour leurs 14 et 17 ans de l’époque. Ce qui nous ramène à la théorie de leur descendance surnaturelle. Non mais franchement, qui sait écrire ça à cette âge là ?

C’est peut-être l’air de la Scandinavie qui donne aux artistes de ces contrées là la capacité de parler de ce qui fait mal. Ce sont aussi les rois de la versatilité. Ils traitent du grave de façon solaire ; chantent la tristesse et les amours malheureux sans foutre le cafard. Leurs albums donnent limite envie de s’ouvrir les veines, mais quand ils sont sur scène… ils portent des costumes dorés, sourient à se décrocher les mâchoires et nous donnent envie de taper du pied au rythme de leurs tambourins.

Rassurez-vous, au moment où l’ambiance de feu de camp risque de nous faire oublier de les prendre au sérieux, Johanna et Klara s’éloignent de leurs micros pour interpréter Ghost Town en very very unplugged. Elles évitent miraculeusement d’en faire une exhibition de leurs prouesses et parviennent même à créer un moment collectif tout droit sorti d’un idéal folk des années 70. Bon, à Berlin, il y avait une connasse qui avait trop bu qui s’est fait un plaisir de gâcher ce joli moment pour tout le fond de la salle, malgré mes réprimandes de plus en plus sonores (Können Sie bitte drei Minuten Ruhig sein?). A en croire youtube, dans d’autres concerts c’est un moment magique (chassez le champ lexical surnaturel il revient au galop.).

Et histoire de nous prouver qu’elles sont Rock ‘n’ Roll, Klara se fait un plaisir de nous confier qu’un jour de passage à Nashville Jack White les a réquisitionné pour enregistrer un 45 tour. La flexibilité du monde musical anglophone m’étonnera toujours. Pour fêter ça, elles nous proposent une reprise de White, entament le premier couplet de Seven Nation Army avant de s’arrêter en riant et de réellement reprendre Love Interruption dans une version plus nerveuse que l’original.

Mais pour être honnête, pour moi le moment de vérité ce n’est pas quand mon cœur s’emballe au milieu d’une foule d’étrangers, ce n’est même pas à la sortie du concert. Parce que je suis une névrosée, incapable de s’arrêter à un moment de plaisir, c’est dans les jours qui suivent, dans l’obsession grandissante qui me gagne alors que je saute d’un wormhole3 youtoubien à un autre que se cristallise mon admiration.

Et le net ne manque pas de ressources quand il s’agit de se gaver de sons First-Aid-Kitiens. Les deux fées des bois n’ont jamais peur de sortir leur guitare et d’harmoniser au bord d’un lac ou sur une scène de festival. Leurs multiples interprétations sont toutes uniques mais elles restent consistantes, dans leur maîtrise de l’harmonie, de la douce puissance de leurs voix et dans le supplément d’âme qu’elles accordent à toutes leurs rengaines. Parce que ce sont de réelles musiciennes, chaque version reste excitante à découvrir, chaque variation est intéressante, pertinente, précieuse. Et maintenant, j’écoute même les paroles !

La plus grande révélation de mes « recherches » ? Être enchantée par First Aid Kit est d’une banalité absolue ! Leur interprétation minimaliste de Dancing Barefoot4 a fait pleurer Patti Smith.

On la comprend ! Les sœurs semblent chanter avec leurs tripes et entrer en communication directe avec l’esprit transgressif des années 70 (décidément). Un an après avoir bouleversé Smith, elles ont récidivé, à l’occasion de la même cérémonie5, en faisant presque craquer Paul Simon avec leur interprétation de son America.

C’est leur marque de fabrique, le chanteur de Fleet Foxes n’était que leur première victime,  Klara et Johanna font de leurs idoles des fans. La preuve: Wikipedia nous raconte que l’évènement fondateur de la vie musicale de Klara est la découverte à 12 ans de Bright Eyes: le succès dominant de la Modern Folk du milieu des années 2000. Entre temps… Conor Oberst, son chanteur, wunderkind de la musique indépendante, compositeur, musicien mais aussi encourageur de talents, qui lui aussi avait tout réussi avant d’avoir 25 ans, exploite le talent des chanteuses pour son dernier album solo et sa tournée. La boucle est bouclée.

Quand on passe du temps avec First Aid Kit on alterne constamment entre deux impressions presque paradoxales. Leur musique est universellement plaisante! Leur musique est terriblement spécifique! La vérité est entre les deux. Ce qui semble si naturel et facile est en fait un enchevêtrement d’influences, de goûts et de choix. C’est l’ADN des œuvres remarquables. On en revient toujours à la même idée: personal is universal.

En me plongeant ces derniers jours dans leur discographie je n’ai trouvé aucune fausse note, mais j’ai souvent découvert une profondeur inattendue, au détour d’une phrase, d’une harmonie, d’un silence. On tombe amoureux de First Aid Kit en un instant mais, en leur donnant le temps de nous hanter, on apprend à les aimer pour tout ce qu’on avait raté au premier regard. La cristallisation est à présent entièrement consommée. J’ai complètement sombré dans la fanitude et n’ai aucun espoir de rétablissement.

L’avenir me dira s’il s’agit d’une passion éphémère ou d’un amour pour la vie. Malgré leur productivité, elles ne sont qu’à l’aube de leur carrière et, parce qu’elles collaborent déjà avec leurs maîtres, on ne peut pas deviner la route qu’elles choisiront. Peut-être pousseront-elles les limites de ce qu’elles savent faire, ou bien elles resteront éternellement là, ou encore se feront-elles avaler par les facilités commerciales d’albums sur-produits et surfaits…. Mon cœur amoureux espère simplement qu’elles sauront se laisser inspirer par leur propres mots…

Take me some place where there’s music and there’s laughter … Gotta keep on going, looking straight out on the road.

… Be it for reason, be it for love. I won’t take the easy road. The easy road, the easy road

Webography – ou comment passer deux heures de plus sur internet… à consulter à vos risques et périls

C’est dans le minimalisme que leur talent est le plus imposant : le tiny desk concert de NPR: https://www.youtube.com/watch?v=Jtx7q7_IUXc

De jolis clips… que ça ne vous empêche pas d’écouter les paroles, hein ?

The Lion’s Roar https://www.youtube.com/watch?v=gekHV9DIjHc

Emmylou https://www.youtube.com/watch?v=PC57z-oDPLs

Un peu de Unplugged

Ghost Town à Prague https://www.youtube.com/watch?v=MZZ5eusgIus

Tiger à Paris https://www.youtube.com/watch?v=WjtCQApEzfA

Ensuite laissez vous porter par le wormhole

Notes:

1 L’original : http://youtu.be/eRfBqoGVFXc

2 Le quartier bobo de Berlin qui est plus loin de chez moi que Kreuzberg mais moins que Prenzlauer Berg…

3 Vous m’excuserez de l’anglicisme mais le terme consacré en français « trou de ver » manquait beaucoup trop de poésie pour moi.

4 Dont je vous conseille cette version de l’original: https://www.youtube.com/watch?v=jC6sLQg3gkk

5 Le prix Polar Music. Une autre institution suédoise qui permet au roi de rencontrer les gens les plus interessants de la terre pour leur donner un chèque. Celui-ci venant tout droit des fonds de l’Académie Royale de musique. Pour souligner la génialitude de la culture suédoise je ne vous donnerais que ces deux infos : le prix a été fondé par le manager d’ABBA et ils l’ont donné à Patti Smith en 2011 parce que « By devoting her life to art in all its forms, Patti Smith has demonstrated how much rock’n’roll there is in poetry and how much poetry there is in rock’n’roll. » Come on !

 

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